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Les couloirs du parlement ne sont pas occupés que par des politiciens affairés autour d’un café ou de l’édition du matin de la NZZ, entre deux votes en plénum. De nombreux groupes d’intérêts, collaborateurs personnels et conseillers spécialisés peuplent ce microcosme coloré. Chaque parlementaire a en effet la possibilité d’accréditer deux personnes de son choix pour l’accompagner dans les secteurs non publics du Palais Fédéral1. Dans les faits, qu’en est-il ? Qui invite qui ? Comment se dessinent les affinités entre politiciens, collaborateurs et lobbies ? Cet article propose une visualisation expérimentale des données publiques de la Confédération suisse.
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Die Gängen des Parlaments sind nicht nur von Politikern besetzt. Viele Interessengruppen, persönlichen und-Fachberater bevölkern diesen bunten Mikrokosmos. Jeder Parlamentarier kann zwei Personen seiner Wahl akkreditieren, damit sie in die nicht-öffentlichen Gebiete des Bundeshaus eintreten können. Was sind die Gemeinsamkeiten zwischen Politikern und Interessengruppen? Dieses Papier schlägt eine experimentelle Visualisierung von öffentlichen Daten der Schweizerischen Eidgenossenschaft vor. Dieser Artikel wird nicht vollständig ins Deutsche übersetzt, aber die Grafiken sind zweisprachig2.
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NB: cette image est en licence CC et peut être réutilisée, avec un lien vers cet article.
Chaque parti politique est représenté par un cercle contenant ses conseillers aux Etats et ses conseillers nationaux dans deux sous-ensembles. D’un côté, on trouve l’équipe des députés, composé de personnes issues de leur propre parti ou de leur entourage qui les secondent. De l’autre sont visualisées les accréditations offertes à des personnes ayant déclaré leur lien d’appartenance à un groupe d’intérêt. Dans cette étude, on distinguera donc ces accréditations “internes” (le “staff“) et “externes” (les “lobbies“). À noter que dans les “externes” on trouve aussi les collectivités publiques (cantons, communes) et les communicants privés, engagés pour gérer le personnel branding de certains politiciens.
De qui les parlementaires s’entourent-ils ?
Faut-il n’accréditer que des personnes qui vont être en mesure de conseiller efficacement le parlementaire qui leur ouvre les portes du Palais Fédéral ou faut-il privilégier les liens implicites qui lient la formation politique du parlementaire en question à des groupes externes ? Ou alors ne faut-il pas distribuer ses précieux laisser-passer ? Ou simplement inviter des proches ?
Alors que 19% des accréditations restent sans attribution (cases blanches ici à gauche), 58% sont distribuées à des groupes d’intérêts extérieurs à l”équipe” parlementaire. Les tableaux ci-contre semblent montrer que les partis dont la représentation atteint une proportion dépassant 10% de l’effectif du Palais Fédéral (les quatre plus grands) entretiennent des équipes proportionnellement plus importantes que les petits partis qui accumulent les relations externes. En termes absolus, il est évident que les quatre premiers partis de Suisse monopolisent le paysage des groupes d’intérêt, mais cette domination (évidente sur l’image du réseau ci-dessus) est logiquement fondée sur leur nombre important de députés. On remarque également que les partis de gauche laissent moins d’accréditations non-utilisées que les partis de droite, probablement en raison de leur position clairement minoritaire.
Une typologie des lobbies
On verra ci-dessous que la catégorisation des groupes d’intérêts est problématique. Il n’en demeure pas moins, dans cet exemple, qu’il est possible de faire des observations sur certaines affinités partisanes. En soi, cette étude est même une occasion de confronter les représentations traditionnelles des positionnements à une réalité du parlement rarement exprimée (habituellement, on classe les partis en fonction des votes en plénum ou des études sociologiques de leur socle électoral). Ci-dessous, on trouve une 2e version de la cartographie des accréditations dont on a enlevé les membres des équipes (collaborateurs, membres de parti et invités). Afin de la rendre plus lisible et de se concentrer sur les “tendances lourdes”, ont également été enlevées les “relations simples” entre un parti et un groupe thématique (lorsqu’un parti ne donne qu’une seule accréditation à un groupe thématique donné).
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NB: cette image est en licence CC et peut être réutilisée, avec un lien vers cet article.
Apparaissent alors des groupes de thématiques monopolisées par une seule formation politique (en particulier aux deux extrêmes du parlement : Parti Socialiste et Union Démocratique du Centre), représentés par des rectangles de la couleur du parti concerné. Sont également mises en valeur les thématiques qui ne sont communes qu’à deux partis politiques (rectangles gris), révélant la très grande proximité d’intérêts entre le PS et les Verts.
Une démarche “Open Data”, mais quelle pertinence ?
En rendant publiques les données concernant l’accréditation de tiers par les parlementaires fédéraux (données du Conseil National / données du Conseil des Etats), les services du Parlement font un pas nécessaire vers une plus grande transparence. Ces données sont à mon sens plus intéressantes que le registre des intérêts (données du CN / données du CE), où chaque parlementaire déclare ses propres attaches partisanes et économiques parce que ce fichier d’intérêts n’a aucune chance d’être un jour complet (certains politiciens ne déclarant pas toutes leurs fonctions tierces, de toute évidence) et parce que la liste des accréditations témoigne d’une réalité concrète : ces deux personnes sont concrètement autorisées par le parlementaire à accéder aux parties non publiques du Palais Fédéral. Ceci dit, la cartographie des accréditations pourrait être très bien complétée par une cartographie des déclarations d’intérêts !
Manque encore à ces données une liste plus complète des mandats de ces “invités” qui n’en déclarent en général qu’un seul alors qu’il y a fort à parier que bon nombre d’entre eux, qu’ils soient “staff” ou “lobbies” ont aussi une carte de parti et des responsabilités dans d’autres groupes de pression.
Questions méthodologiques
Cette visualisation n’est pas un produit fini mais un exercice qui ne questionne pas seulement le fonctionnement de l’Etat fédéral mais également les pratiques de visualisation et de datajournalisme. C’est un point d’entrée dans la discussion, autant sur le fond que sur la forme.
De fait, la question principale porte sur la catégorisation thématique des groupes d’intérêt. Existe-t-il une catégorisation officielle des entreprises, associations, organisations non gouvernementales, patronales ou syndicales, etc… ? L’observateur se voit ici obligé de tenter de repérer des thématiques globales, avec le risque de donner trop d’importance à une catégorie très pointue mais très représentée au détriment d’une catégorie de premier niveau mais avec peu d’accrédités. On peut aussi se demander s’il faut classer les lobbyistes par thématique ou selon la forme de leur organisation : syndicat, entreprise, association, etc…, ceci d’autant plus que dans la visualisation ci-dessus, des individus n’ayant pas pu être classés dans des catégories thématiques doivent être laissés seuls ou regroupés dans des catégories trop générales (une entreprise de panneaux solaires doit-elle être classée dans “énergie”, “environnement” ou “entreprises” ?). Finalement, c’est en pensant au lecteur qu’on se dirige plutôt vers une catégorisation qui colle plus aux représentations traditionnelles, mais qui souffre donc de sa subjectivité. Cette dernière est évidemment assumée ici d’autant plus facilement qu’il ne s’agit que d’une expérience. D’ailleurs, ce constat relativise l’image d’objectivité que véhiculent les méthodes du datajournalisme. C’est donc bien toujours au chercheur ou au journaliste de faire des choix éditoriaux et de les assumer. Tant mieux.
- La question est d’ailleurs d’une actualité brûlante puisqu’il a été proposé d’élargir ces accréditations à un nombre plus important de lobbyistes. Voir le communiqué du 12 novembre. ↩
- Allerdings zögern Sie nicht, diesen Artikel auf deutsch/englisch zu kommentieren! ↩
Comme je tombe dessus à l’instant, une suggestion de lecture assez complète dans les archives de l’Hebdo : Dans la jungle des lobbyistes.
Bravo tout d’abord pour ce boulot!
A chaud, cela suscite trois questions.
1) quel(s) outil(s) as-tu utilisé pour constituer, puis visualiser ta base de données?
2) as-tu une idée de ce que signifie “invité” dans la terminologie fédérale?
3) dans l’image 2, y a-t-il une distinction entre les parlementaires des deux chambres (ie. y a-t-il proportionnellement plus de liens dans l’une ou l’autre des Chambres avec des groupes d’intérêts)?
Merci pour ces questions dont la précision rend la réponse hypothétiquement plus aisée :
1) une copie des documents PDF de la Confédération dans un XLS (aïe, ça fait sauter plein de lignes -> petit travail de nettoyage), puis Gephi (comme tout ce qui se publie sur ce blog…) pour l’embryon de visualisation, puis Inkscape pour redessiner tout le réseau de manière lisible.
2) il n’y a pas de définition. Je pense que c’est le parlementaire lui-même qui décide qui il appelle ainsi tant que la personne n’est pas de manière évidente la représentante d’un groupe d’intérêt. On peut y trouver des membres de famille (la femme de C. Blocher, par exemple).
3) effectivement, cette information serait tout à fait disponible, mais j’ai préféré considérer les parlementaires d’un parti toutes chambres confondues pour des questions de lisibilité de l’image. A priori, je n’ai pas l’impression qu’il y ait une grande différence de répartition, mais ce serait évidemment tout à fait intéressant de faire l’analyse. Ceci dit, comme les sénateurs sont peu nombreux, non seulement il est facile de regarder ça en vitesse sur le PDF de la chancellerie, mais en plus il sera difficile d’en tirer des enseignements puisque le petit nombre ne permettra pas d’établir d’observations générales.
Particulièrement intéressant au niveau des thématiques “d’influence”, qui sont assez peu surprenantes. Elles m’amènent à une autre réflexion. Si, par exemple, le Parti Socialiste tombait sur ton billet, ne pourrait-il pas également être lu comme une remise en question / nouvelle réflexion sur où “envoyer” plus de lobbyistes. Par exemple : pourquoi autant sur la santé et aucun (argh) concernant les assurances ou la pharma…
Bref, passionnant, merci Martin !
Cette auto-réflexivité (par exemple du PS sur sa façon d’accréditer des lobbies), c’est absolument le but ! Et c’est également tout l’intérêt de l’analyse de réseau telle que je la développe dans mes recherches plus académiques : cela nous dit quelque chose de l’objet d’étude, mais cela nous dit aussi quelque chose sur notre propre position. Ce type de cartographie est donc utile (j’espère) à la compréhension des rouages du Palais Fédéral mais aussi (et ça c’est sûr) à la prise de conscience des partis de leur organisation propre (dont ils ne se doutent peut-être pas s’il n’y a pas un secrétaire général pour faire ce travail de regroupement).
Excellent boulot. Franchement parfait.
Je suis très intéressé par l’outil de cartographie que vous avez utilisé.
Pourriez-vous me transmettre le nom du software.
Merci
Merci ! Comme je l’explique en commentaire (réponse à Eric Butticaz, ci-dessus), il s’agit de Gephi, dont on part du résultat peu visuel pour refaire une version complètement dessinée (Inkscape).
Nouveau et bel éclairage. J’ajouterai le rôle professionnel des membres des Chambres fédérales. Cela donnerait le vrai poids des différents groupes d’intérêts. Je distinguerais aussi les assurances-maladies des autres assurances. Pierre-Antoine Hildbrand
Merci pour votre remarque ! Je pense qu’elle rejoint la réflexion que j’esquisse au § “Une démarche OpenData […]”. Mais cela pose deux problèmes bien distincts :
1- Comment savoir si les déclarations des membres des Chambres sont exactes, ou du moins complètes ? Quand on parcours les documents fournis par la Chancelleries (ils sont en lien depuis le paragraphe en question), on se rend compte qu’ils ne sont pas complets (vérification faite avec des politiciens que je connais). Une lacune remettrait en effet en question tout le processus.
2- Comment rendre cette double source d’informations lisible, visuelle ? Il me semble que la cartographie dont je propose ici une version expérimentale est déjà difficile à comprendre pour un néophyte.
En ce qui concerne les assurances, c’est évidemment une possibilité, mais des catégorisations trop précises pourraient faire perdre la cohérence. C’est à discuter.
Bonjour,
Félicitations pour l’énorme travail que vous avez fait et le résultat visuel extrêmement intéressant. Je suis spécialisé dans l’analyse du travail du Parlement dans le domaine de l’assurance-maladie, et j’ai été impressionné de voir que le PSS a autant de liens avec des groupes d’intérêts dans le domaine de la santé. Pour répondre à Céleste Petit, il y a une explication assez probable à ce phénomène: d’une manière générale, les parlementaires PSS refusent les postes qu’on leur offre dans des conseils d’administration de grandes entreprises, telles que les géants pharmaceutiques ou encore les assureurs-maladie; par contre, les membres d’autres groupes parlementaires, notamment à droite de l’échiquier politique, acceptent volontiers des mandats dans des conseils d’administration de ce genre d’entreprises. Ces parlementaires ont dès lors moins besoin de lobbyistes issus des géants pharmaceutiques ou des grands assureurs-maladie, puisqu’ils sont eux-mêmes déjà très bien informés des intérêts de ces acteurs. Les lobbyistes du secteur de la santé invités par le PSS sont probablement plutôt des personnes représentant les hôpitaux, les prestataires de soins non-médecins et d’autres acteurs moins “puissants” (associations de patients ou d’assurés, etc.).
Comme vous l’indiquez, Monsieur Grandjean, il serait également intéressant de visualiser, pour chaque parlementaire, quels sont ses liens d’intérêts (conseils d’administration, associations, fondations et autres collectifs dont il ou elle est membre) et quelles sont les personnes qu’il ou elle accrédite. Encore un sacré boulot en perspective!
Benoît Renevey
Merci beaucoup pour votre commentaire qui complète très bien ce que la visualisation ne peut pas montrer (ou devrait, comme je l’esquisse, mais cumuler les données du registres des intérêts avec la listes des accréditation rendrait la visualisation illisible) ! Oui, la politique interne du PSS vis-à-vis de l’engagement de ses membres au sein de conseils d’administrations explique son taux élevé d’accréditation, à l’inverse du PLR, par exemple. Et vous avez également raison de pointer que les accréditations “santé” des députés socialistes sont plutôt attribuées à des groupes de personnel de santé.
Encore une fois, cette visualisation n’est qu’une façon de tenter de rendre compréhensible un phénomène qui, même s’il n’est pas caché, n’est pas explicité/explicite.
Félicitations pour ce travail de visualisation tout à fait convainquant et qui de plus porte sur un sujet délicieusement croustillant. Justement, à ce propos, je me demandais dans où faudrait-il placer les représentants des intérêts des banques et de l’industrie des armes dans la catégorisation thématique ?
Oui, le sujet a le mérite d’être “croustillant”, l’impulsion de départ de ce travail un peu “ludique” m’a été donnée par une discussion sur Twitter pendant laquelle nous nous interrogions sur les accréditations d’un conseiller national peu en phases avec son discours dans une situation précise.
Les banques ont leur catégorie propre “finance” alors que l’industrie des armes n’a pas de représentants accrédités, à moins que ces mandats ne se dissimulent chez des personnalités qui portent plusieurs casquettes et n’en déclarent qu’une. En l’état, ces lobbyistes se classeraient dans “entreprises”.
FYI : http://www.nzz.ch/aktuell/schweiz/die-wahren-interessen-der-lobbyisten-1.18255372
Merci, oui je n’ai évidemment pas pu rater cette très belle réalisation ce matin ! 🙂
Mon propre billet et sa visualisation avait justement été produit suite à une discussion avec une personne de l’équipe NZZdata.
Merci pour cette réalisation. Je me joins aux louanges!!! Les remarques pointent souvent la question des catégorisations. En effet, une catégorie comprend en général tout…et son contraire. Pour la santé, un lobbyiste peut représenter des groupes pharma, des assurances ou alors des travailleurs ou des malades. Ce qui m’intéresse, c’est l’agriculture. Je note une répartition des liens entre l’UDC et les Verts, ce qui recouvre certainement deux visions de l’agriculture (traditionnelle-intensive vs bio-extensive). En fait pour toutes les catégories, on pourrait opérer une distinction entre les groupes d’influence libéraux (“libéralistes”) et ceux à tendance plus mutualiste. Pour l’heure, c’est comme si l’on regroupait patrons et syndicats sous le label “travail”, ainsi que propriétaires et locataires sous celui de “logement”.