Figure de proue des nouveaux médias de la littérature française (entre télévision et Twitter, l’homme en est effectivement un ambassadeur de premier plan), Bernard Pivot publie aujourd’hui “Les tweets sont des chats“, un recueil de mini-messages de 140 caractères maximum, publiés sur le réseau social en ligne depuis son arrivée.
Cette nouvelle suscite quelques questions, qui ne sont que les réflexions d’un amateur de littérature et de réseaux sociaux, et qui attendent – ou pas – vos réponses :
La perte de l’éphémère ?
Twitter, c’est le lieu de l’instantanéité. Bernard Pivot en joue d’ailleurs volontiers le jeu puisqu’il ne manque pas d’y commenter l’actualité culturelle, politique, sportive (si si !). Editer ces messages, les ressortir des limbes du flux continu d’information, n’est-ce pas en dénaturer si ce n’est le contenu du moins le principe fondamental ? Outre la question de principe, se pose évidemment celle de l’intérêt de ces très courts textes, drôles, touchants ou beaux dans leurs contextes respectifs, mais dont la plupart ne perdent-ils pas leur saveur pris isolément comme autant de haïku ?
Ecrire pour soi, pour les autres, pour éditer ?
Un peu plus d’un an après l’expérience (menée avec succès) de s’inscrire sur Twitter, l’édition d’une sélection de ses messages n’est-elle pas l’aveu d’une préméditation ? L’aveu de l’utilisation de ce nouveau médium avec, si ce n’est la contrainte des 140 caractères, une visée tout à fait traditionnelle de production littéraire ? Finalement, n’était-il sur Twitter que pour rédiger un nouvel ouvrage ? Son utilisation de Twitter semble montrer que non, puisqu’il entretient des interactions avec d’autres utilisateurs, mais le registre de discours y est bien différent.
Twitter, un journal intime ?
Dans le communiqué de l’éditeur, Bernard Pivot confie qu’ “à chacun, il est possible de considérer Twitter comme une sorte de journal personnel intermittent”. Cela dit, un journal personnel en est-il toujours un lors de son édition ? La question se pose d’autant plus que les journaux intimes ne sont en général pas édités par leurs auteurs eux-mêmes (ou alors, il s’agit d’un genre autobiographique). On notera qu’il déclare sur France Info que “Je n’ai pas tenu de journal intime et je n’écrirais jamais mes mémoires comme on le fait traditionnellement”. Toute la nuance tient-elle dans ce “traditionnellement” ?
Quelle propriété de l’écrit ?
Albin Michel, qui édite ce volume, n’a aucune exclusivité sur les droits d’auteurs des textes qu’il édite aujourd’hui. Twitter reste en effet le détenteur de ces données, bien qu’il laisse les utilisateurs accéder à leurs anciens messages. Dans les termes des conditions d’utilisation, on notera que l’auteur des tweets en reste le détenteur des droits mais qu’il cède à la plate-forme une licence mondiale, non-exclusive et gratuite !
Le format papier, le sommet de l’expérience ou un aveu d’échec ?
En revenir finalement au format papier est une manière de magnifier ces trésors de la langue française, distillés chaque jour avec la précision de verbe que l’on connaît à Bernard Pivot. Mais quel besoin de revenir à ce format consacré ? Pour interpeller les confrères traditionnels en leur offrant la possibilité de se plonger dans le monde numérique ou pour retrouver la stabilité réconfortante du papier ? Alors qu’il nous est interdit de penser qu’il ne s’agit que d’une entreprise commerciale (le livre se vendant mieux que le tweet…), le retour au papier n’est-il pas le signe d’un malaise, d’un manque de confiance face au numérique ?
Un mois de @BernardPivot1 sur Twitter !
Allez, sur le coup, préférons le Bernard Pivot numérique au Bernard Pivot traditionnel ! Ci-dessous, les 97 tweets de l’écrivain du mois d’avril (retweets et mentions exclus), …profitons de ces lignes pendant qu’elles sont encore libres !
http://storify.com/GrandjeanMartin/le-mois-d-avril-de-bernard-pivot
S’il y a des gens pour l’éditeur et des gens pour l’acheter 🙂 Ça encouragera peut-être des personnes à se mettre sur Twitter.
Oui, on est d’accord, ce n’est pas une initiative complètement désintéressée, elle cherche un (nouveau ?) marché. Mais est-ce qu’elle touchera un public qui n’est pas déjà sur Twitter ? C’est une bonne question et je ne suis moi-même pas assez d’écrivains/critiques/amateurs de littérature sur Twitter pour en juger.
Pour une fois je ne suis pas totalement d’accord avec toi, je pense que ce monsieur n’a plus grand chose à prouver et que cette expérience sera traitée comme un sujet d’étude, une vaste expérience scientifique à vocation littéraire. Avis perso.
[1000x tant mieux, je préfère le débat au consensus, surtout dans un billet où je pose des questions ouvertes]
Donc, finalement, la présence de Bernard Pivot sur Twitter, c’est une expérience ? (ça, ça me rejoint assez, ceci dit) Bon, l’aspect “scientifique”, je me permets de le questionner un peu, mais est-ce que l’expérience c’est Bernard Pivot qui la mène ou les futurs critiques littéraires qui décrypteront son recueil ?
Le flux Twitter n’est intéressant que dans l’instant et je trouve franchement ennuyeux la lecture hors contexte de ces tweets alignés. Coup d’éditeur qui surfe sur le courant média social? Qui va acheter cet ouvrage et surtout qui le lira?
A titre personnel, je vois bien qui achètera ces ouvrages (Bernard Pivot a un public traditionnel, malgré ses expérimentations numériques), mais qui les lira… c’est une autre question, effectivement 😉
Il y a un peu de Perec ou de Queneau dans ce jeu avec les contraintes formelles, qui intéressera certainement les critiques littéraires et inspirera les “belles plumes” à gazouiller davantage sur Twitter. Je comprends les critiques et interrogations par rapport au support papier, mais je pense que c’est une étape légitime, nécessaire. Plus audacieux sera l’écriture sur Twitter d’un roman à part entière. Bientôt, j’en suis persuadée.
Oui, je vous rejoins tout à fait sur l’aspect Perec/Queneau que j’aime beaucoup retrouver chez lui sur Twitter (j’ai donc du plaisir à l’y suivre), mais j’en vois moins l’intérêt sur papier, a posteriori.
Dire que le papier est une étape légitime est certainement juste, mais corrobore à mon sens l’aspect “illégitime” du numérique vis-à-vis du papier en littérature (française du moins).
Je suis en retard apparemment: http://www.myboox.fr/actualite/jennifer-egan-publie-son-nouveau-roman-sur-twitter-ac-15683.html 🙂
Visiblement il s’agit d’une “publication” sur Twitter, assez différente d’une “rédaction” sur Twitter. Mais oui, c’est un genre en devenir !
Mais si Twitter n’a été ici qu’un moyen de diffusion, l’exemple n’est pas vraiment pertinent. Je me demande dans quelle mesure le facteur “Twitter” a influencé l’écriture. J’irai faire un tour sur @NYerFiction
C’est sûr qu’avoir des données précises et concrètes sur des lecteurs de livres ça va être plus compliqué que sur des followers. C’est ça qui t’embête au fond ?
#trolp
Ivre, funambuline achète le recueil de tweets de Bernard Pivot.
“Selon que notre idée est plus ou moins obscure, l’expression la suit, ou moins nette ou plus pure.”..Et l’idée de Bernard en voulant tout “tweeter”, s’astreint à de bons mots sans pour autant rimer…Il excelle en cela qu’il veut en peu de mots séduire nos avis multiples et complexes Et tout est bon pour lui pourvu que le contexte, soit d’actualité…Son maître en l’occurrence, greffier au Parlement le disait lui aussi : “ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément”