La visualisation de données, c’est beau (souvent), utile (parfois), mais surtout, surtout, ça fait du partage sur les réseaux sociaux, du “like”, du chiffre d’affaire potentiel… et ça, Google l’a très bien compris. Lancée il y a quelques jours, sa “Music Timeline” est un produit très réussi, mais dont les mésinterprétations sont déjà nombreuses.
Immédiatement classée dans ma liste des visualisations à analyser, voilà qu’Espace 2, la principale radio culturelle et musicale suisse romande m’interpelle sur le sujet. J’en profite donc pour assortir cette chronique audio (ci-contre à droite) de quelques rapides éléments de commentaire.
Une visualisation réussie…
Ce travail est un exemple remarquable d’utilisation de la librairie D31, une timeline interactive qui donne une vision globale de la musique de ces soixante dernières années telle qu’elle est consommée par les utilisateurs du service musical de Google. Par un clic, on isole une tendance, puis un ensemble de groupes, le tout avec une intégration très réussie des principaux albums et de leur description “GooglePlay”. Tout en restant très simple et lisible, la visualisation intègre des millions de données ainsi qu’une complexité qui n’est pas visible au premier abord, quand on zoome sur une tendance. Un champ de recherche permet d’afficher des résultats transversaux (exemple des Jackson).
…qui souffre de sa superficialité
- Comme toujours avec Google, aucun moyen de voir l’envers du décor, à savoir les données utilisées, ne serait-ce qu’une indication du nombre total ou de la variation de densité d’information suivant les années. Pas complètement étonnant puisque c’est son fonds de commerce.
- Source d’un malentendu récurrent, cette timeline n’affiche pas la popularité des artistes au moment de la sortie des albums mais leur popularité aujourd’hui. On parlera donc plus d’une visualisation de mode que d’histoire.
- Le corpus n’est absolument pas représentatif de la consommation de musique puisque limité aux utilisateurs du service de Google. Il faut donc bien garder en tête qu’il s’agit ici de musique “dématérialisée”, dont on fait une consommation différente de la musique sur disque vinyl ou compact. On y ajoutera que les personnes consommant ce type de musique dématérialisée ne sont eux-mêmes pas représentatifs de l’entier des consommateurs puisqu’en moyenne plus connectés, jeunes,… que les fans de jazz sur 33 tours2.
- La musique classique n’est pas présente. La représenter pose un problème évident : doit-on la classer en fonction de la date d’enregistrement ou de la date de composition ? (et au nom de Beethoven ou celui de Karajan ?) Ces deux dates sont généralement confondues pour la musique contemporaine, mais pas lorsqu’il s’agit de l’enregistrement d’une musique ancienne. Il est donc effectivement judicieux de la part de Google de ne pas visualiser la musique classique, susceptible de perturber considérablement le lecteur. Il n’en demeure pas moins que cette absence fausse le tableau.
- Ce genre d’analyse “globale” entraîne un nivellement des petites tendances et des artistes pointus, n’affichant finalement que les groupes les plus célèbres. Bref, le mélomane en reste sur sa faim parce que les possibilités d’exploration restent limitées si on veut sortir des “grands classiques”.
Finalement, un risque de “populisme” pour l’histoire de la musique ? un simple “hameçon même pas déguisé3” pour populariser Google Play ?
- Encore rien en D3 sur ce blog, mais je ne désespère pas d’arriver petit à petit à produire quelque chose de valable 😉 ↩
- Sans compter la question des moyens financiers, et sans parler non plus de la consommation de musique non enregistrée (et donc live) et donc de l’euro-américano-centrisme de cette visualisation. ↩
- Libération ↩
Il y a aussi des éléments de comparaison qui manquent. Le Jazz des années 1950 compte énormément dans l’écoute du jazz aujourd’hui. Mais quelle était la part du jazz dans les sorties musicales des années 1950? Qui plus est, la visualisation donne l’impression que le volume de la production musicale est restée stable dans le temps. C’est très trompeur.
Bref, cette visualisation est jolie.
Oui, mais encore une fois (et c’est décidément perturbant), on ne parle pas de production musicale mais de consommation, qui plus est dans un temps très court (d’ailleurs, Google ne communique pas sur ce point : est-ce que ces données sont la totalité de ce qu’ils ont diffusé depuis l’existence de GooglePlay, ou sur une période particulière). Il me paraît évident que la musique de ces 5 dernières années doit représenter le 90% de la musique consommée aujourd’hui. Familier des visualisations, je comprends bien la normalisation, mais c’est clair que c’est trompeur !