Les questionnements définitoires, dans le monde académique, ne sont pas le propre de ce nouveau champ des humanités numériques mais bel et bien la caractéristique de toute nouvelle dynamique, qu’elle soit scientifique ou institutionnelle. On notera d’ailleurs que les humanités numériques concernent ces deux domaines (scientifique et institutionnel) puisqu’elles se veulent porteuses de nouvelles méthodologies mais également d’une nouvelle organisation de la recherche.
La place que prennent ces “innombrables discussions, présentations ou encore keynotes sur ce que sont les humanités numériques” n’a rien d’anodin et témoigne de la très grande hétérogénéité du terreau universitaire au sein duquel les frontières disciplinaires explicites et implicites se voient mise à mal. En fait, et bien que ce genre de débat sans cesse renouvelé a souvent tendance à irriter une partie de ses acteurs (moi le premier), ce processus d’auto-définition a le mérite de remettre en question les catégories héritées de l’institutionnalisation des disciplines (sans entrer plus loin dans l’histoire des sciences, il est évident que plus un courant arrive longtemps après le moment fondateur de “cristallisation” – je pense aux processus du XIXe siècle -, plus il aura de la peine à s’y faire sa place). Si le débat est si vivant à l’interne (à l’intérieur du groupe d’acteurs des humanités numériques), ne serait-ce pas parce que les conditionnements externes sont très puissants (et que leur nivellement demande justement beaucoup d’énergie) ?
Alors, est-ce une discipline, une transdiscipline1, un mouvement, un domaine, un champ ? La question semble plus se poser à l’extérieur qu’à l’intérieur, puisque cette évolution semble plus inquiéter les universitaires traditionnels que ceux qui ont adopté des outils numériques. Cette question, je la retourne aux autres chercheurs, dans leurs propres disciplines bien ancrées dans le paysage académique : Comment se définit et se justifie votre discipline ? Quelle bonne raison avons-nous de penser qu’il est bon que la psychologie et la sociologie aient été admises dans nos facultés ? Est-ce que la physique est réellement une discipline, ou n’est-ce qu’un domaine d’application des mathématiques ? Et, question plus fondamentale, ces mathématiques qui sont à la base de notre enseignement traditionnel (et, je le crois avec ferveur, une composante essentielle des humanités numériques), n’ont-elles pas elles aussi vécu un processus d’institutionnalisation fastidieux qui relativise les quelques années d’existence du numérique ? Et comment expliquer que l’émergence de ce dernier n’ait pas produit autant de discussions internes en mathématiques qu’en sciences humaines ?
- Comme l’évoque le manifeste des digital humanities cité. ↩
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