Analyser le positionnement politique d’élus nationaux sur autre chose que leurs promesses de campagne est une nécessité démocratique. Comment les votes de ceux-ci lors des sessions parlementaires traduisent-ils leurs orientations personnelles et partisanes, entre pragmatisme et idéologie ?
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Le ranking proposé par Michael Hermann (Université de Zurich), qui classe les conseillers nationaux sur une échelle gauche-droite sur la base de leurs votes est un outil complexe qui pondère la valeur idéologique des 939 objets soumis à votation pendant les sessions parlementaires d’hiver 2013 à automne 2014. Conclusion de cette étude : les politiciens francophones voteraient plus à gauche que leurs collègues germanophones.
Comme le format utilisé pour visualiser ce ranking ne fait pas honneur à sa richesse (l’empilement ci-contre n’apporte pas grand chose de nouveau en la matière1) et ne permet pas de consolider l’hypothèse du fossé linguistique (puisqu’il n’affiche pas les différentes situations linguistiques2), ce billet propose un tableau qui reprend les données du ranking sous un angle légèrement différent.
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L’analyse proposée ci-dessous a pour origine le graphique publié dans Le Temps du 25 novembre, accompagnant un article d’Yves Petignat intitulé “Le clivage gauche-droite accentue le fossé entre Romands et Alémaniques“. Retrouvez le graphique complet ici, et suivez son auteur, Michael Hermann, sur Twitter et sur son site Sotomo.ch.
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Ce que l’on observe, c’est que les parlementaires romands ne votent pas plus à gauche que leurs collègues alémaniques, mais moins à droite. La nuance peut sembler ténue, mais on constate effectivement, en particulier au PLR et à l’UDC, que le nuage de points qui représente les élus des cantons à majorité francophones de ces partis dérive moins sur la droite que celui des élus de cantons à majorité germanophone. Mais ce qui apparaît le plus clairement, c’est que tout parti politique confondu, les fourchettes dans laquelle on trouve les positionnements personnels de parlementaires romands sont systématiquement moins larges que pour les suisses-alémaniques ! Les élus romands suivent-ils mieux les mots d’ordre de leurs partis ?
Si plonger dans les données autrement que sous forme de liste imprimée vous intéresse, retrouvez ci-dessous les 197 conseillères et conseillers nationaux3 :
- Graphiquement, il s’en tient d’ailleurs strictement à la version précédente de ce ranking publiée par la NZZ il y a un an. ↩
- Le second tableau (en bas de page) illustre bien sûr l’évolution des positions à l’intérieur des groupes selon des critères linguistiques, mais sans préciser s’il s’agit de positions moyennes ou médianes. ↩
- Ils sont 200 au total, mais deux viennent-ensuite arrivés en cours de route ont été retirés, ainsi que le président du Conseil national. ↩
Hello Martin,
J’espère que je n’ai pas considéré le sujet trop sérieusement et fais ici des remarques déplacées, mais il semble utile d’ajouter un commentaire.
Tout d’abord, comment définis-tu “discipliné” dans ton titre ? Le terme n’est pas repris ensuite dans le billet. Voter en groupe c’est être “discipliné” ?
Le graphique original paru dans le Temps possède deux éléments qui disparaissent dans le graphique amélioré que tu proposes : d’une part une grande simplicité, idéale en terme de lisibilité pour un journal (avec le défaut de devoir choisir un ordre pour empiler les blocs), d’autre part la disposition en diagramme en barre un peu détournée qui permet de saisir les tendances sur l’axe “gauche-droite”. L’axe vertical est ordonné et peut donc être interprété (par exemple “Il y a plus de politicien-nes- entre -9 et -8 qu’entre -8 et -7.”) là où tu utilises sur l’axe vertical une variable nominale dont les 26 modalités sont seulement classées selon la région linguistique (puis l’ordre alphabétique). À mon sens, on perd sans conteste en lisibilité, le problème résidant ensuite ici dans le danger de vouloir interpréter directement ces visuels là où, pour un échantillon de cette taille, il est important de regrouper (ce que tu fais dans le second graphique, on y arrive).
Par exemple, tu affirmes sur la base seule des deux visuels que “les parlementaires romands ne votent pas plus à gauche que leurs collègues alémaniques, mais moins à droite”. Ce qui te permet de l’affirmer est l’étendue que tu montres dans le second graphique (je déduis que c’est l’étendue, ça n’est pas indiqué dans la légende et je ne vois pas ce que ça pourrait être d’autre), et éventuellement la simple observation des points du premier graphique. Hors, cette mesure de dispersion qu’est l’étendue ne dépend que des extrémités, ce qui est flagrant dans le cas du PDC. Tu perds quasiment toute l’information, et il est dès lors impossible d’en tirer des conclusions. C’est un problème qui serait moins grave avec l’utilisation de boxplots, par exemple, et qui offriraient de tout regrouper en un seul graphique.
Au passage, le fait que les intervalles soient plus larges chez les groupes politiques Suisses alémaniques est clairement dû à ce que leurs populations sont plus grandes. La dispersion augmente lorsque la taille de la population augmente et vice versa.
Tu termines sur la même question que dans ton titre concernant le suivi des mots d’ordre en fonction de la région linguistique : pour y répondre, et pour globalement y voir quelque chose, je te propose de passer par des tests d’hypothèses : ils permettront de tenir compte de distributions intactes. Idéalement, il faudrait même l’intégralité des positions sur les 939 objets, mais il me semble inutile d’aller jusque là.
Merci pour ce commentaire.
Je pense que toute sa première partie est conditionnée par la mauvaise interprétation de ma démarche: il ne s’agit pas d’un “graphique amélioré” que je proposerais pour remplacer le graphique publié, mais d’un graphique avec “un angle légèrement différent” qui a pour seul but de montrer que ces données peuvent se prêter à d’autres formes visuelles, et que ces autres formes peuvent mener à une analyse complémentaire.
Evidemment que le graphique du Temps est parfait pour une publication papier, si on a le loisir de dépenser une page complète pour lister les 200 élus avec un numéro qui renvoie à sa “tranche de diagramme”. La perte de lisibilité est ici compensée par les possibilités du web, comme le graphique faiblement interactif que je propose après la version statique le montre.
Oui, j’ai hésité un moment à visualiser les fourchettes sous forme de boxplots, mais je craignais de rendre cette expression visuelle illisible pour les non-initiés. Qui plus est, les données étant très peu nombreuses, on peut se demander si cela a vraiment un sens.
J’en viens au commentaire de l’interprétation (ton dernier paragraphe). Non, les intervalles systématiquement plus larges en suisse-alémanique ne sont absolument pas une conséquence du plus grand nombre de politiciens qui forment cette “population”. Pour preuve, de nombreux élus d’un même parti ont des écarts bien plus larges à l’intérieur d’un même canton que parmi les romands : que dire des Verts bernois ? Ils sont moins nombreux que tous les Verts romands… Idem avec les PLR dans le même canton, les UDC argoviens, les PDC saint-gallois, etc… La langue comme facteur de cohésion à l’intérieur des groupes politiques est une réalité culturelle, mais ce n’est évidemment pas l’analyse quantitative qui nous le montre le mieux, comme en témoignent les tweets d’Isabelle Moret (PLR VD).
A part ça, un regret tout de même avec ce jeu de données : même en triant les cantons dans tous les sens, les écarts et tendances sont tellement minimes qu’il est difficile de corroborer des hypothèses avec des démonstrations quantitatives qui peuvent s’affranchir d’incertitudes naturellement très grandes (en particulier liées au jugement du chercheur sur ce qui fait qu’un vote est de gauche ou de droite).
Hello Martin, et merci pour ta réponse. Nous avons déjà triplé la longueur de la page 🙂
Mon interprétation se basait sur la partie suivante : “le format utilisé pour visualiser ce ranking ne fait pas honneur à sa richesse (l’empilement ci-contre n’apporte pas grand chose de nouveau en la matière)”, alors même que je trouve cet “empilement” pertinent.
Je reste persuadé que les boxplots sont nécessaires ici au lieu de “fourchettes”, qui sont “lisibles” au prix de concessions que je considère beaucoup trop fortes. Les données sont assez nombreuses, en particulier justement pour mieux comprendre ce qui compose les gros “blocs”. Avec les tailles des différents groupes indiquées dans la visualisation, explicitement ou par la largeur des rectangles/boxplots comme on le fait souvent, on pourrait ainsi mieux appréhender ce qui se passe “à l’intérieur” de ceux-ci, et ainsi comparer visuellement les groupes si c’est ce qu’on veut faire.
Quant à la suite, comparons ce qui est comparable : ce qui nous intéresse ici ce sont les régions linguistiques, ou alors il faudra renommer l’article 🙂 (Même remarque pour le tout dernier paragraphe de ton commentaire.) Dans tes exemples, cette variabilité au sein de si petits groupes est totalement prédictible, puisque sur l’ensemble la très grande majorité des groupes politiques cantonaux présente des dispersions variant normalement avec leurs tailles. Je maintiens, donc 🙂
Tu affirmes : “ce n’est évidemment pas l’analyse quantitative qui nous le montre le mieux” mais l’analyse quantitative n’a été qu’esquissée 🙂 Le témoignage d’Isabelle Moret est intéressant, mais ne devrait pas être considéré dans le cadre de l’analyse : au mieux il confirme l’intuition, mais il ne peut pas confirmer un résultat. On ne doit pas en tenir compte dans une telle analyse (si j’ai bien compris mes cours de statistiques).