Le marché mondial de la bière est dirigé par une poignée de grands groupes, dont quatre se partagent la propriété de plusieurs centaines de marques, totalisant près de la moitié de la production mondiale.
Exercice de visualisation, raté ?
Alors que le groupe hollandais Heineken (3e mondial) vient de refuser l’offre du groupe britannique SABMiller (2e mondial), Le Monde publie sur son site web un visuel déjà utilisé en janvier de cette année (lien vers l’article de janvier): Sous la forme d’un arbre, près de 800 marques appartenant aux quatre principaux groupes (les deux cités ci-dessus auxquels s’ajoutent Anheuser-Busch InBev, 1er mondial avec près d’un quart de la production à lui tout seul, et Carlsberg, 4e) forment une liste interminable (voir captures ci-dessous) où le lecteur peine à fixer son oeil.
Alors qu’aucune vision globale ne se dégage de cette liste, que le classement alphabétique n’est pas toujours de mise et que certaines marques apparaissent parfois seules et parfois avec le détail des bières qu’elles produisent (13 Grimbergen différentes mais 1 seule Leffe ou Chimay…), le travail du Monde ressemble à un exercice de datajournalisme bâclé (à la rigueur, on peut louer le fait que la liste soit “cherchable”).
Visualisation: faire parler une liste
Réalisé en quelques minutes, nettoyage des données et tests de différents rendus inclus, le visuel ci-dessous est un brouillon, une proposition aux rédacteurs du Monde pour améliorer la dimension heuristique de la visualisation de leurs données. Comme Le Monde ne partage pas ses sources, impossible toutefois de garantir que ce rapide schéma, qui reprend les données des articles en question, rende crédiblement compte d’une réalité…
En passant, cette approche “réseau”, qui est déjà présente dans le modèle arborescent du Monde, apporte plusieurs éléments de supplémentaires à la compréhension du monde des brasseries industrielles :
– La propriété de certaines marques est parfois partagée par plusieurs groupes. Ceci parce que ces derniers se partagent les droits selon les pays. Cette double-appartenance ne pouvait pas s’exprimer dans un arbre, si ce n’est en multipliant les doublons.
– Faire une liste de marques n’apporte rien à la compréhension de l’importance des groupes sur le marché: l’analyse de ces données montre en effet qu’Heineken est le groupe qui possède le plus de marques et qu’il est central en matière de “partages”, alors qu’il n’est que 3e mondial derrière deux groupes qui totalisent près de 4x plus de parts de marché que lui mais qui n’apparaissent que marginaux ici. Cette liste devrait être complétée par les données de production ou de chiffre d’affaire.
– Sans données complètes, pas d’analyse globale. Oui, il est intéressant de pouvoir comparer la taille des empires centralisés de quelques grands groupes, mais le nombre de brasseries qui ne sont pas représentées dans la liste du Monde est trop important pour les passer toutes sous silence. En l’état, et même si on le retravaille graphiquement, pas sûr que même le visuel proposé ci-dessus soit d’un grand intérêt (puisque finalement très simple).
Bref, merci de ne pas prendre le graphique ci-dessus pour un produit fini, …et de ne pas oublier que quand on cherche à raconter une “story” avec des données, il faut les considérer comme partie prenante de la narration (en écoutant ce qu’elles ont à dire) et pas comme un objet qu’on balance brut au lecteur.
– Réalisé avec Gephi.
En plus, y’a même pas la Kro.
Si si, dans le groupe Carlsberg !
Je conseillerai également la lecture Jacques Bertin : Sémiologie Graphique. Les diagrammes, les réseaux, les cartes. 😉
Il date, mais il reste très actuel dans le traitement visuel des données.
Ah oui, évidemment, c’est un classique. Mais on ne peut pas reprocher aux journalistes auteurs de cette arborescence de ne pas l’avoir utilisé puisque leur produit n’est pas du tout graphique, finalement.
Bonjour, pour m’être intéressé au sujet, il serait de bon ton (par exemple dans du datajournalisme d’investigation) d’ajouter quelques objets suplémentaires comme les malteries détenues par ces grands groupes et ainsi que les marques de bières indépendantes qui sont en forte croissance. Je pense que quelques crawls sur le web pourraient permettre d’en didentifier plusieurs centaines, j’imagine aussi qu’une prise de contacst avec les grossistes permettrait d’obtenir assez rapidement des listing relativement précis.
Pourquoi ? par ce qu’il s’agit là d’un marché assez particulier (un peu comme le vin finalement) où les grands groupes continuent de croitre par leur développement sur les continents africain, asiatique et sud-américain, alors que leurs parts de marché baissent en Europe et aux USA au profit des producteurs indépendants. Rien qu’en Bretagne nous en avons une dizaine ;).
Au plaisir.
Merci pour ce développement ! Je crois que les remarques rapides que je dresse ci-dessus rejoignent tout à fait les vôtres, à savoir que ce jeu de données n’est ni complet ni exploitable tel quel.
Par contre, je m’étonne du nombre de brasseries indépendantes en Bretagne : en Suisse (2x plus de population), on en recensait 270 en 2009 (toujours en augmentation). Bref, on sous-estime toujours la diversité (celle-ci passera aussi en grande partie entre les mailles du filtre “web crawl”).
En tout cas, ça donne soif!